Pourquoi j'ai mangé mon père - Roy Lewis
- Félix Gauffre
- 1 mai 2015
- 3 min de lecture

" Eh oui, cette fois tu as passé les bornes, Edouard ! rabâchait Oncle Vania, tout en mastiquant à belles dents une épaule de cheval, le dos au feu.
_ Tu l'as déjà dis, fit remarquer père qui, lui, s'attaquait à une côte de boeuf dans le filet. Qu'est-ce qui ne va pas avec le progrès, je voudrais le savoir ?
_ Progrès, progrès, c'est toi qui lui donnes ce nom, dit Oncle Vania. Par-dessus son épaule, il jeta dans le foyer un cartilage décidément incomestible. Moi, j'appelle ça de la rébellion. Aucun animal n'a jamais été conçu dans le but de dérober le feu au sommet des montagnes. Tu as transgressé les lois établies par la nature. Tu en seras puni. "
Le livre de Roy Lewis met en scène une tribu d'hommes préhistorique du Pléistocène à l'aube du progrès, de la révolution de la technique. Ernest est un jeune homme de cette tribu et raconte ses histoires familiales, les aventures notamment de son père Edouard, inventeur, qui cherche à tout prix à faire évoluer son espèce, allant jusqu'en haut d'un volcan pour en ramener du feu. S'en suit toute une succession de découvertes, tout cela raconté avec un anachronisme et un humour débordant. Le langage hautement évolué des personnages, leur réflexion sociologique et philosophique ainsi que les situations rocambolesques dans lesquelles nous plonge Roy Lewis sont absolument hilarant.

Chaque personnage est très bien vu par l'auteur : le père inventif qui ne s'arrête jamais de chercher une nouvelle invention, poussant ses fils à l'exogamie, l'oncle réac innerte à tout progrès, Ernest le fils un peu benêt. Mais au-délà d'être un roman qui procure un réel plaisir et qui ne peut que faire rire son lectorat, Pour j'ai mangé mon père (The Evolution Man en anglais) est un ouvrage qui retrace avec une grande documentation, de la part de l'auteur, l'évolution de l'homme, de la maîrise du feu à la création de l'arc, en passant par la peinture sur les murs. Il montre aussi la dureté de la vie de l'époque à chasser pour se nourir, et ce parmi les chasseurs, si bien que l'on se retrouvait chassé. L'homme n'ayant ni griffe, ni crocs, ni sabots, ni carapace est bien mal loti face à des prédateurs. C'est bien pour ça que la technique est chère à Edouard, car elle permet de surmonter ces handicaps.
" Nous nous appliquerons à décimer toutes les espèces qui nous ravagent, à n'épargner que celles qui se soumettront. A toutes nous proclamerons : «Prenez garde ! Ou bien vous serez nos esclaves et vous disparaîtrez ! Car nous seront vos maîtres par notre supériorité en tout : dans un super-combat nous vous super-éliminerons par la super-pensée, de super-ruses, un super-peuplement, une super-évolution ! Voilà notre politique, et il n'y en a pas d'autres.» "
Mais l'ouvrage va plus loin car il nous amène également à réfléchir sur notre présent. Doit-on toujours chercher à faire progresser la technique et les inventions ? Peut-on réellement parler de progrès ? C'est une question que nous pose l'auteur et à laquelle il nous invite à réfléchir. Par exemple, comme le dit l'écrivain Vercors, lorsque Edouard voulant domestiquer le feu embrase toute la forêt, c'est une allusion transparente à l'atome et la bombe d'Hiroshima.
Ces hommes préhistoriques déjà à leur époque se posent des questions qui sont, aujourd'hui encore, existentielles. Avec en plus une force comique, tout est fait pour nous instruire et nous faire rire dans ce petit livre qui ne vous laissera pas indifférent.
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