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La Nausée - Jean-Paul Sartre

  • Félix Gauffre
  • 2 mai 2015
  • 3 min de lecture

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Hopper Meditations, Richard Tuschman

"Et puis j’ai eu cette illumination. Ça m’a coupé le souffle. Jamais, avant ces derniers jours, je n’avais pressenti ce que voulait dire « exister ». J’étais comme les autres, comme ceux qui se promènent au bord de la mer dans leurs habits de printemps. Je disais comme eux « la mer est verte ; ce point blanc, là-haut, c'est une mouette », mais je ne sentais pas que ça existait, que la mouette était une « mouette-existante » ; à l’ordinaire l’existence se cache. Elle est là autour de nous, en nous, elle est nous, on ne peut pas dire deux mots sans parler d’elle et, finalement , on ne la touche pas. Quand je croyais y penser, il faut croire que je ne pensais rien, j’avais la tête vide, ou tout juste un mot dans la tête, le mot « être »."


J'ai commencé l'oeuvre de Sartre par Les Mots, autobiographie de son enfance, qui m'a beaucoup plu et poussé à lire d'autres de ses ouvrages. Mais quel ne fut ma surprise lorsque je lus La Nausée ! Je ne peux m'empêcher d'en partager de (longs) extraits. Tout le roman ne tourne pas seulement autour de la question de l'existentialisme. Néanmoins elle prend une part de plus en plus importante au fur et à mesure du récit. Les passages que j'ai choisi ce situent vers le milieu du livre lorsque le héros à une révélation soudaine, celle de son existence.


Lorsque Sartre écrit La Nausée, il est professeur au Havre. Alors qu'il révait de voyage et voulait être muté au Japon, il se retrouve dans une vie rangée, le travail, la vie quotidienne : tout ce que veut fuir le philosophe. Il entreprent pendant ces années au Havre l'écriture de ce roman qui se veut donc légèrement autobiograpique.


Petite anecdote, le titre original était Melancholia, en référence à la gravure de Dürer que l'on peut voir (un morceau du moins) sur la pochette ci-dessous.


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"J’existe. Je pense que j’existe. Oh, le long serpentin, ce sentiment d’exister – et je le déroule, tout doucement… Si je pouvais m’empêcher de penser ! J’essaie, je réussis : il me semble que ma tête s’emplit de fumée…et voilà que ça recommence : « Fumée…ne pas penser…Je ne veux pas penser…Je pense que je ne veux pas penser. Il ne faut pas que je pense que je ne veux pas penser. Parce que c’est encore une pensée. » On n’en finira donc jamais ? Ma pensée c’est moi : voilà pourquoi je ne peux pas m’arrêter. J’existe parce que je pense …et je ne peux pas m’empêcher de penser. En ce moment même – c’est affreux – si j’existe, c’est parce que j’ai horreur d’exister. C’est moi, c’est moi qui me tire du néant auquel j’aspire : la haine, le dégoût d’exister, ce sont autant de manières de me faire exister, de m’enfoncer dans l’existence. [...] Ma salive est sucrée, mon corps est tiède ; je me sens fade. Mon canif est sur la table. Je l'ouvre. Pourquoi pas ? De toute façon, ça changerait un peu."


Le livre est un journal raconté à la première personne. La narrateur s'appelle Antoine Roquetin, c'est un célibataire de trente-cinq ans environ qui vit seul à Bouville, ville imaginée par Sartre qui rappelle le Havre. Après avoir abandonné un emploi en Indochine, il se retrouve donc dans cette ville à plancher sur l'histoire d'un artistocrate du XVIIIe siècle nommé Rollebon. Il passe son temps à la bibliothèque, c'est là qu'il rentre l'Autodidate avec qui il entame des conversations philosophiques opposant l'humanisme de cet homme à son individualisme. Désabusé, Antoine Roquetin se rend compte au fil du temps que sa vision des choses, des objets ordinaires de son quotidien, a changé. Il rentre alors dans la nausée.


Si Sartre peut déplaire part une vision très dure de la vie, de sa vie, lorsqu'il ne philosophe pas, il attache beaucoup d'importance à son style. Dans ce sens, on pourrait dire la même chose de Houellebecq qui s'efforce de décrire la vie telle qu'elle est vraiment : ennui et scènes de sexe pas terrible, par exemple. Il ne faut peut-être pas lire La Nausée si l'on est en dépression nerveuse, bien que l'ouvrage amène à réfléchir sur son existence. Certains passages sont tout bonnement extraordinaires. J'en ai adorée le style, un grand roman avec une trame bien menée, des personnages complexes et leur analyse philosophique. A travers ce récit en partie autobiographique, Sartre reprend également certaines de ses obsessions comme la difficultée de l'engagement politique, la peur de vieillir, la peur de passer à côté de la vie.

 
 
 

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Le crime de rêver je consens qu'on l'instaure

Si je rêve c'est bien de ce qu'on m'interdit

Je plaiderai coupable Il me plaît d'avoir tort

Aux yeux de la raison le rêve est un bandit

Louis Aragon, Nymphée

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